L’homme pour qui rien n’est impossible
Les pieds sur terre et la tête dans les nuages, marchant droit devant à la conquête du futur, telle pourrait être l’image d’Epinal de RM à conserver dans notre mémoire collective.
« Soyez réaliste, demandez l’impossible. » *
“C’était un rebelle” aime expliquer Michèle Monory à propos de son père. Comme un trop plein de vie, René Monory avait envie d’actions. Il a laissé s’exprimer toute sa liberté et créativité qu’il a nourri d’un esprit curieux tout au long de sa vie. C’est un homme d’action et de terrain, résolu et optimiste. Malgré son audace, il restera un homme authentique et simple, profondément humaniste.
Qui aurait pu prédire qu’un homme, sans filtre, avec juste en poche le brevet élémentaire et le brevet industriel, animé par la liberté et l’action puisse un jour devenir ministre à plusieurs reprises, Président du Sénat et fondateur du Futuroscope, entre autres. Rien ne laissait présager René Monory à une telle destinée et pourtant… René Monory a-t-il vraiment fait exploser le déterminisme social ?
“Dans ma vie, j’ai eu de la chance mais il faut la voir et surtout la saisir. C’est rare que vous ayez l’à-propos de prendre quelque chose qui vous arrive par surprise. Il faut le préparer.” **
Un homme simple et proche des gens
Alors qu’il est d’usage d’entretenir son réseau, de se montrer, de paraître, René Monory fuit les mondanités. Il reste attaché à la frugalité, la simplicité.
“Au fond, seule l’action me motive, m’anime, me donne de l’appétit. Les ors et honneurs ne m’intéressent pas. Les apparences et la position sociale m’indiffèrent.” *
Il a côtoyé, connu des personnalités du monde politique, au niveau international ou même du milieu artistique (Charles Aznavour, Henri Salvador et Gilbert Bécaud). La notoriété ne présentait aucune importance à ses yeux. Les liens qu’il tissait avec petits et grands de ce monde étaient solides en toutes circonstances.
Les conventions sociales de la haute société, même alors qu’il était ministre ou Président du Sénat, ne présentaient pas d’intérêt à ses yeux.
René Monory a toujours refusé les logements de fonction préférant acquérir son propre appartement qu’il partageait volontiers avec son chauffeur. D’ailleurs, René Monory appréciait prendre la place du volant à la place de son chauffeur qui s’accommodait du fauteuil passager ou d’une sieste sur la banquette arrière. Lorsque René Monory avait des responsabilités d’homme d’Etat, il prenait son café tous les matins avec le concierge de l’immeuble, qui l’accueillait également dans sa loge pour partager un match de foot à la télé.
Quelle image étonnante du Président du Sénat offrant à Bill Gates (Président de Microsoft à l’époque) une peluche de Babar ! René Monory était cela, un homme d’action qui se jouait des conventions sociales. Il ne tolérait aucun obstacle.
En s’appuyant sur ses piliers qu’étaient sa femme, sa famille, ses amis et Loudun, René Monory avance naturellement, à l’image d’un escalier, marche après marche, sur un chemin qui n’est pas dessiné d’avance. Seule sa volonté d’action et son goût de liberté font moteur. Et il faut aller vite ! Avancer vite et ne pas se retourner !
“Ce qui est certain, c’est que je suis fidèle à mes amis, mes origines, à mes loisirs, à une sorte de simplicité terrienne qui m’a toujours ramené à mes racines intimes.” *
Le fameux dîner étriqué avec la Dame de fer
Contraint d’enfiler une chemise trop petite gentiment prêtée par son assistant afin d’assister dignement au dîner en l’honneur de Margaret Thatcher, René Monory se trouva en mauvaise posture… Lors du dîner un ou deux boutons sautèrent lui laissant une partie du torse apparent par l’entrebâillement de sa chemise. L’histoire racontée par Jacques Grandon dans son livre consacré à René Monory * ne raconte par la réaction de la Dame de fer…
Sa vie à ses débuts
A l’opposé d’une éducation scolaire rigide, c’est l’école de la vie qui l’a formé. Une école sans carcan, sans borne, un apprentissage tout au long de la vie animé par la curiosité. Ce n’est pourtant pas un dédain de l’école mais c’est la voie familiale qui a primé. Ses parents artisans et « bosseurs » l’ont conduit naturellement vers la vie active au sein du garage familial.
Il n’y a pas de petites entreprises. Le garage familial sera le berceau de son envie d’entreprendre, d’imagination et de liberté. Ce n’est pas parce qu’on vit à Loudun qu’on ne peut pas avoir d’ambition !
“Je ne crois pas aux héritiers mais aux hommes qui s’inventent. Dans la curieuse alchimie qu’est une vie, l’héritage, l’expérience, les mythes intérieurs, les rencontres ou les coups de pouce du destin se mêlent intimement. Bien malin qui dira quelle est la part de chaque élément dans le précipité final” *
L’esprit d’entreprendre
Pourvu de créativité et d’imagination, René Monory a l’esprit d’entreprise très tôt et compte bien y déployer toute son énergie. Nous sommes en 1939, lorsque René Monory, âgé de 16 ans, transforme une vieille fourgonnette Rosengart en voiture électrique !
René Monory commence donc sa vie active comme apprenti mécanicien dans le petit garage de son père (boulevard Chauvet à Loudun) en 1939.
La période de la guerre aiguisera sa débrouillardise et alimentera plus encore son esprit créatif et sa volonté de nourrir ses ambitions.
Malgré le contexte difficile de l’après-guerre, René Monory développera le garage en achetant des véhicules d’occasion en région parisienne pour les revendre à Loudun. L’extension des activités avec les engins agricoles assure une belle prospérité de l’entreprise que René Monory continuera d’étendre avec une concession Honda et la création de la Société loudunaise de combustibles. En 1952, il est le président de la SA Monory.
« Quand vous vous tracez une trajectoire, vous perdez moins de temps ».*
Pourquoi le shérif ? La liberté du shérif menée à la baguette !
Travailleur, persuasif, René Monory peut être perçu comme autoritaire.
Ayant pu agir et décider seul sans la consultation et l’approbation du gouvernement. Le Monde titra que “le shérif de loudun” avait libéré le prix de la baguette contre tous…Effectivement jusqu’en 1986, de tels pouvoirs étaient octroyés au ministre de l’Économie.
Et la petite histoire du président des boulangers qui voulait juste négocier une augmentation du prix réglementé de la baguette s’est retrouvé fort mécontent que chaque boulanger de France puisse établir lui-même le prix de sa baguette. Baguette augmentée mais prix libéré !
La politique en action
Pour René Monory, l’action politique s’inscrit dans le prolongement de l’esprit d’entreprise : imaginer, créer et agir pour réussir sans jamais céder. Plutôt centriste même s’il ne se reconnaissait totalement dans aucun parti politique, il adhère tardivement par à l’UDF (en 1978) tout en restant fidèle à ses opinions centristes.
Dans les années 50, Loudun est devenue une petite ville tranquille, trop tranquille pour René Monory et quelques autres acolytes.
Après quelques rebondissements René Monory devient maire en 1959. René Monory n’échappera cependant pas à la foudre de la rumeur loudunaise. Pour lui nuire, certains prétendront que sa maîtresse enfermée dans le coffre de sa voiture fut promenée par sa femme…
Considérant le terrain politique comme la vie entrepreneuriale, René Monory appliquera les mêmes recettes de réussite. Il faut investir afin de faire décoller la croissance loudunaise. Les emprunts ne doivent pas effrayer puisque ces investissements auront un effet de levier de croissance pour la commune. René Monory ira rechercher sur tout le territoire national des entreprises prêtes à s’installer dans la nouvelle zone industrielle. L’arrivée de ces entreprises permet de créer de l’emploi, de nouvelles richesses et d’augmenter les recettes fiscales de la commune.
“Le manque d’argent ne doit jamais entraver l’action. Lorsque le projet est bon, l’argent lui revient toujours, comme un boomerang.” *
“J’aime le pouvoir. Non pour ce qu’il procure mais pour ce qu’il permet.” *
“Etre élu, c’est demeurer en permanence au contact de la société pour mieux anticiper les mutations.” *
En 1973, il crée l’une de premières communautés de communes : le SISEL (Syndicat de Solidarité et d’expansion du loudunais) qui regroupa 46 communes.
Plus tard, en 1980, Vienne Services (syndicat mixte départemental, 270 communes adhérentes) fut créé avec pour objectif notamment des formations et conseils juridiques à la carte. En 1981, le dispositif s’étoffe d’une agence de conseil et de travaux (construction de l’habitat, la gestion de l’eau ou des déchets).
Son parcours politique restera marqué par :
- La libération des prix et la protection du consommateur
Cela parait étonnant aujourd’hui mais dans les années 1970 les prix étaient régulés par l’Etat ; les prix n’étaient donc pas libres… Or la liberté pour René Monory étant une valeur fondamentale, ce principe de contrôle est une atteinte à la liberté. La fixation des prix, la concurrence doivent pouvoir s’exercer librement et le consommateur doit être éclairé et protégé des publicités parfois abusives. - Relance des investissements et épargne
Afin de relancer les investissements pour les entreprises, la loi Monory instaurée en 13 juillet 1978, a pour objectif d’orienter l’épargne des français. Les Français ont désormais la possibilité de bénéficier d’une exonération fiscale de l’épargne investie pour l’achat de d’actions françaises.
La cohabitation non désirée avec Maurice Papon
Papon devenu ministre du budget. Jusqu’alors ce ministère n’était occupé que par une seule personne et ne disposait donc que d’un seul bureau de ministre. Maurice Papon l’occupa au prétexte qu’il était plus âgé et avait besoin de se reposer. René Monory qui n’aimait pas cet homme, lui a fait savoir “Lorsqu’on veut faire la sieste, on ne devient pas ministre.” L’entente entre les deux hommes était tellement mauvaise que ce sont les directeurs de cabinet qui ont assuré la coordination entre eux.
La connexion au monde
C’est par instinct que René Monory, lors d’un voyage à Saint-Pétersbourg en 1965, a porté sa commune candidate au jumelage de Ouagadougou, commune du Burkina-Faso (précédemment la Haute-Volta). Loudun, petite commune française de 4500 habitants, sera jumelée à une commune de 200 000 habitants en 1967 !
Dès 1960, un Comité de Jumelage est créé avec un 1er jumelage avec Leuze en Belgique.
Afin de soutenir ce type de démarche d’enrichissement mutuel, René Monory alors président du Conseil Général, a systématisé un soutien financier aux communes de la Vienne s’inscrivant dans une démarche de jumelage.
« Je crois aux échanges entre peuples, ici et maintenant, dans le concret du quotidien, de la table à l’école, de l’atelier à l’université. » *
Le jumelage pose les jalons d’une ouverture culturelle et d’un enrichissement réciproque. Il formalise l’intérêt du voyage et de l’ouverture aux autres.
“En s’ouvrant à l’international, en échangeant des compétences, des idées avec ses homologues, en recevant des citoyens étrangers dans sa ville, l’élu local fait œuvre utile. Au-delà des projets économiques ou culturels sur lesquels elle peut déboucher, la coopération décentralisée est une façon efficace de lutter contre le sourd poison du racisme, du repli sur soi, de la peur de l’autre.” *
René Monory a pris conscience de ce qu’il pratiquait déjà : l’ouverture au monde est une source d’inspiration. Découvrir les pratiques et technologies existantes dans les autres pays permet de dépasser ses propres limites et de sonder les éléments porteurs du futur ; en quelque sorte, les prémisses du Futuroscope sont posées.
La Suède, étonnante destinée forte en émotion
Les voyages officiels peuvent être l’occasion de découvrir les bijoux du pays visité. C’est vers la fin des années 60, qu’une délégation de la Vienne se rend en Suède. La découverte culturelle du pays fut pour le moins incongrue puisqu’il s’agissait d’une séance de cinéma… érotique… Au final, le film troubla plus que prévu le doyen de la délégation qui fut pris d’un malaise en rentrant à l’hôtel. Cette savoureuse anecdote est contée par Jacques Grandon **.
Quel rapport entre Miss Univers, le ping-pong et le Mexique ?
René Monory rencontra la très jeune Christiane Martel à l’hôtel de France où se déroulaient les entraînements.
Que Christiane devienne la 1ère Miss univers française (en 1953) est déjà un fait incroyable ! Mais que René Monory la rencontre à nouveau en 1980 en Mexique lors d’un voyage officiel avec Valéry Giscard d’Estaing est tout autant étonnant. En effet, Christiane avait épousé le fils du Président du Mexique…
René Monory, pionnier du futur
Président du conseil général, René Monory et son équipe étaient à la recherche d’un filon d’avenir pour la Vienne. A la croisée de ces chemins, René Monory convaincu que “l’informatique serait une révolution à égale de l’électricité” *, conscient de l’importance des technologies du futur et de la connaissance a proposé le Futuroscope.
René Monory se définit dans l’action mais il est également proactif et ferveur adepte de la prospective. C’est ici que se rejoigne les voyages, sources de découverte et la prospective.
C’est lors d’un voyage au Brésil en 1959, plus précisément à Brasilia que les germes du Futuroscope naissent dans la tête de René Monory. Le président brésilien de l’époque avait pour projet de “créer une ville pensée pour incarner le futur, l’égalité, la solidarité.” *
Dès le départ, René Monory a pensé le Futuroscope comme un pôle d’excellence à 3 facettes :
“Il fallait parier sur les trois temps qui sont au centre de la vie d’un homme : l’apprentissage, le travail et le plaisir. Tourisme, pédagogie, économie, tel est donc le triptyque qui fonde toute la singularité du Futuroscope et son originalité.” *
L’idée qui nous paraît géniale aujourd’hui ne suscitait pourtant pas autant d’adhésion à l’époque. Pour la petite histoire, au départ, personne ne croyait en cette aventure ; en témoigne cette anecdote :
“Bref, nous accumulions tellement d’incertitudes, voire de handicaps, que le projet fut l’un des cas soumis aux élèves de l’Ecole nationale de l’administration comme l’exemple à ne pas suivre. Quelques années plus tard, le cas sera réécrit pour leur permettre de plancher sur l’exemple d’une gestion publique réussie.” *
Pour proposer des animations du futur René Monory et son équipe parcoururent le monde pour trouver les dernières technologies de pointe comme Imax.
En parallèle, le département développe le pôle économique avec l’implantation du CNED (Centre National d’Enseignement à Distance) et de nombreuses autres entreprises.
Visionnaire, René Monory équipe et forme les collectivités des derniers équipements en avance sur les autres départements.
Se surpasser
Sportif multicartes, en bon mécano, René Monory fut d’abord passionné par les sports mécaniques. Adepte des rallyes, parfois avec sa femme Suzanne qui s’est parfaitement pris au jeu puisqu’ils ont gagné en 1956 le rallye des châteaux de la Loire et que Suzanne continua des courses de femmes lorsque son mari fut dans l’incapacité physique de poursuivre.
Adepte un temps du foot, il se distingua surtout en ping-pong en parvenant à être classé en 16ème de finale de la Coupe de France.
Tout au long de sa vie, en bonne compagnie, il pratiqua la chasse et la pêche, notamment en haute mer du côté de l’Afrique. Convaincu du bienfait du sport, il n’est pas étonnant qu’il favorisa l’implantation de l’aéroclub à Basses, près de Loudun, du golf et la création du Circuit du Vigeant en 1990.
500 mètres sous la mer
Dans le cadre de son objectif ministériel en vue de développer les nouvelles technologies et notamment les techniques sous-marines, René Monory a accompagné en capsule de plongée les plongeurs du CNEXO lors de leur record du monde de profondeur de 500 m !
Les enseignements à retenir de cette personnalité extraordinaire
René Monory avait pour souhait de transmettre quelques préceptes qui ont accompagné sa vie, notamment à destination de la jeunesse.
Regarder l’avenir, anticiper demain
“J’aimerais, si mes mots y parviennent, transmettre à mon tour à quelques jeunes intrépides l’envie de descendre dans l’arène publique.” *
Regarder l’avenir, anticiper demain
“Faire de la politique lorsqu’on est un maire, ce n’est pas construire une galerie commerciale en centre-ville pour y créer de la vie et de l’activité, ici et maintenant. C’est se demander comment vivront nos enfants, quelles seront leurs envies et prendre le risque, avec vingt ans d’avance sur la société, d’enterrer la galerie commerciale pour transformer le cœur de ville en un immense jardin d’herbe, d’arbres et d’art. Faire de la politique quand on est un patron d’un département comme la Vienne, ce n’est pas accompagner le déclin rural en payant les paysans pour qu’ils ne produisent plus, c’est parier que notre avenir passe par les technologies de l’information et de la communication, le multimédia, par la connaissance. En un mot, c’est créer le Futuroscope et tenter de peser sur le destin d’un territoire. Faire de la politique quand on est ministre de la République, c’est croire davantage au rêve que nous promet la recherche ou l’enseignement qu’aux illusions que nous servent les télévisions pailletées.” *
Être fidèle à ses valeurs
“Toute entrave à la liberté m’est insupportable. Elle fait partie de mes repères personnels. Pour un homme politique, s’arrimer à quelques valeurs profondes est vital. Ne pas en avoir, c’est se laisser balloter au gré des circonstances, des lobbies, de la rue, du vent qui tourne. Cette philosophie intime ne s’impose pas d’emblée. Jeune, on agit d’abord par tempérament sans toujours savoir pourquoi on fait les choses, quitte à les réparer ensuite. A mesure que la vie passe et que s’accumulent les expériences, on s’aperçoit qu’on progresse toujours dans la même direction, pour atteindre un objectif qui finalement donne le sens de notre vie.” *
“il faut avoir une philosophie bien portée en soi. On ne la découvre pas tout de suite : on l’a porte, et un jour la découvre et se découvre en même temps. Les premières qualités d’un homme politique, le courage, les unités, et les repères pour ne pas se laisser balloter sur sa route en toutes circonstances. Il ne faut jamais céder sur sa philosophie, être courageux, pugnace et toujours rester soi-même.” cité dans **
Bibliographie
* MONORY, René. La Volonté d’agir. Paris : éd. Odile Jacob, 2004.
** GRANDON, Jacques. René Monory : un homme, une œuvre. Poitiers : Jacques Grandon et Michel Fontaine éditeur, 2003.
*** MONORY, René. Des clefs pour le futur. Poitiers : Les éditions du Futuroscope, 1995.
**** MONORY, René. Combat pour le bon sens. Poitiers : éd. Albin Michel, 1983.
Crédits photo
Nous remercions les Archives Départementales de la Vienne pour leur excellent accueil et Michèle Monory pour son soutien.